Mohamed Ben Sassi, Reliure d’Art

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Mohamed Ben Sassi, Reliure d’Art

Entourés de livres et de manuscrits d’époque, Mohamed Ben Sassi, artisan relieur et dernier représentant du métier à la Médina de Tunis, nous accueille dans son atelier de la rue Lagha pour nous conter les secrets de son art aux accents ensorceleurs.

Mdinti : Relieur d’Art… le nom porte déjà une part de magie. Comment vous êtes-vous retrouvé dans ce monde ?  

Mohamed  :  Au siècle dernier, il s’agissait encore d’un métier très prisé. J’ai été formé à Bab Al Alouj. Tout de suite après la sixième année primaire, j’ai intégré le lycée technique des métiers. Notre formation était diversifiée et complète. Nous apprenions les maths, la géographie, les langues mais surtout nous étions introduits en rotation à plusieurs métiers : menuiserie, mécanique générale, électricité, l’imprimerie et entre autres la reliure d’art. 

A l’époque j’étais jeune et frêle. Je n’étais pas construit pour une métier manuel qui demandait de la force. Il fallait m’imaginer essayant de dompter un tour mécanique qui tournait à plus de 3500 tours par seconde, tout ça sur un escabeau car je n’arrive pas à la machine ! C’était épique ! Et puis j’ai toujours était un vrai esthète. Le choix de la reliure d’art est donc venu comme une évidence. 

Mdinti : Racontez-nous vos débuts

Mohamed : Je suis un enfant de la Médina. Je suis né et ai grandi à la rue du Pacha. Dès ma première année d’étude, je me suis mis au boulot. J’ai rejoint la famille Annabi qui était spécialisée dans la reliure et l’imprimerie à la rue du Pacha. J’ai donc très vite passé à la pratique et ai développé mon art à leurs côtés. En plus de la reliure d’art, je me suis également intéressé à la restauration des manuscrits anciens. 

Mdinti : C’était en quelle année ? 

Mohamed : J’ai obtenu mon brevet en 1974 mais déjà en 1973, j’ai ouvert mon premier atelier : librairie, papeterie, reliure. En 1975, j’ai rejoint la Bibliothèque Nationale, à laquelle j’ai été fidèle pendant 40 ans. Mon premier atelier était à la rue du Pacha, puis la rue du Divan puis enfin ici à la rue Lagha depuis maintenant 33 ans. 

Mdinti : En quoi consiste votre métier ? 

Mohamed : On peut le diviser en trois étapes. Premièrement, il y a la restauration. Cela dépend du livre qu’on me confie. J’évalue son état et décide s’il nécessite une restauration. C’est un processus magique de recréer un papier abîmé ou déchiré. Une fois, le papier restauré, vient l’étape de la couture, sur ruban, sur ficelle, à l’américaine, à l’italienne, à l’anglaise… cela dépend également du livre, de son épaisseur, de la qualité de son papier… Et enfin, vient la reliure à proprement parlé, le corps d’ouvrage. Ici, intervient la volonté du client pour le choix de la matière : en plein toile, en dos coins ou en demi toile et papier… Avec la reliure, il y a également la dorure. Il donc possible de choisir le lettrage à utiliser et éventuellement de l’or 22 carats pour les ouvrages d’exception. 

Mdinti : 45 ans de carrière et toutes dans la Médina de Tunis. N’avez-vous pas pensé à déplacer votre atelier ? 

Mohamed : J’ai été conçu, je suis né, j’ai grandi et j’ai vécu à la Médina. Je ne pourrai jamais la quitter ! Que serait un vendredi sans l’odeur d’encens qui s’émane des maisons ? La Médina coule dans mes veines et même si aujourd’hui, j’habite en dehors de ses remparts, à Montfleury, j’y passe mes journées dans cet atelier et ses murs qui racontent mon histoire.

Mdinti : Vous êtes le dernier représentant de ce métier noble à la Médina de Tunis. Que vous inspire ce constat ? 

Mohamed : C’est triste… Je ne suis pas heureux du manque ou de l’inexistence de concurrents. Le métier a été délaissé et j’ai peur que ce savoir-faire se perde à jamais. Pourtant, je reçois des personnes intéressés de partout. Des jeunes et moins jeunes qui viennent effectuer des stages avec moi pour apprendre les bases de ce métier. D’ailleurs, actuellement je suis en train de former un diplomate néerlandais en poste en Tunisie. Les gens sont attachés à leurs livres. J’en reçois quotidiennement pour restauration et nouvelle reliure. La demande et l’intérêt sont là… 

Mdinti : Vous proposez donc des ateliers de formation ? 

Mohamed : Oui et cela me procure une grande joie et satisfaction. J’aime partager mon métier et le transmettre. J’espère qu’avec Mdinti, nous pourrons davantage communiquer sur ce volet et organiser des sessions de formations par niveau ou par volet. Il n’y a rien de plus satisfaisant que de créer, par exemple, son propre carnet de voyage. Du choix du papier, à la couture puis la reliure et la dorure ! Un ouvrage d’exception qui protégera les histoires et souvenirs de son porteurs.