Sadri Smoali, Dar Slah

Interviews

Sadri Smoali, Dar Slah

Mdinti : Vous êtes tombé dans le chamdron 

Sadri : C’est une histoire de famille. Je suis né au-dessus du restaurant de mon père « Chez Slah ». J’ai donc tout de suite baigné dans le métier. J’ai grandi dans les effluves de cuisine et entre les salves de Âoula (réserves de provisions préparées traditionnellement en famille) de ma mère et ma grand-mère dans leur « bit mouna » (grenier à provisions). J’ai été bercé par un père restaurateur et une famille de « sanefa » (fées des fourneaux). 

Mdinti : De père en fils, donc ? 

Sadri : De père en fils, de grand-mère en petit fils et de mère en fils ! D’ailleurs pour l’anecdote, mon père, Slah, offrait à ses plus fidèles clients qui étaient évidemment devenus amis avec le temps, l’opportunité de monter goûter à la cuisine de ma grand-mère qu’elle mijotait directement sur le kanoun (Poterie creuse, en terre cuite, utilisée comme un brasero, pour la cuisson des aliments au charbon de bois) 

Mdinti : Vous avez donc tout naturellement pris le relais du restaurant de votre père ?

Sadri : J’ai été à la tête du « Chez Slah », le restaurant de mon père pendant plus de vingt ans. Le « Chez Slah » est considéré comme une institution à Tunis. Depuis les années 50, il représentait la référence en terme de cuisine de la mer. Les spécialités étaient exclusivement autour du poisson et des fruits de mer. Comme mon père, j’entretenais des relations particulières avec nos clients. Notre métier est avant tout une question d’hospitalité et de partage. J’avais toujours des demandes, surtout de clients de nationalité tunisienne, concernant la cuisine tunisienne traditionnelle. Ils se plaignaient de ne pas trouver de restaurant où ils pouvaient déguster de bons plats tunisiens dans la convivialité, comme chez Slah ! 

Mdinti : C’est là que vous est venu l’idée de « Dar Slah » ? 

Sadri : Voilà ! Entre ces demandes de plus en plus nombreuses, le fait que j’ai grandi dans les jupons des fées des fourneaux de notre famille et mon envie de me lancer à mon compte, la décision a été prise. J’ai laissé les rennes du restaurant « Chez Slah » à mon frère Slim et ai ouvert le « Dar Slah » à la Médina de Tunis. 

Mdinti : Pourquoi Dar ? Et pourquoi celle de Slah ? 

Sadri : J’ai été éduqué dans la convivialité du restaurant de mon père. Je voulais donc gardé ce même esprit : un restaurant sans chichi, cool, où on vient pour manger un plat traditionnel et partager de bons moments. Je ne voulais pas faire une rupture totale donc du « Chez Slah », j’invitais les gens à venir au « Dar Slah », la maison de Slah. Donc de l’européen du centre-ville, on passe au tunisien. Et puis Slah c’était le nom de mon père mais c’est aussi le nom de mon fils. On reste donc dans la famille et on perpétue l’histoire familiale. 

Mdinti : Pourquoi avoir choisi la Médina ? 

Sadri : Pour ne rien vous cacher, c’était un concours de circonstances. Après 23 ans au « Chez Slah » j’étais un peu fatigué. Le métier de restaurateur ça épuise même si ça a toujours été une passion. Entre le shift de midi et du soir, à la fin ça devenait éreintant. Je voulais dégager du temps pour moi et ma petite famille, une sorte de mi-temps. En choisissant la Médina, je pouvais me permettre de ne proposer que le service de midi. Une journée qui se termine à 15 ou 16 heures ça me convenait ! 

Mdinti : Chaque bâtiment a une grande histoire dans la Médina. Connaissez-vous celle des murs qui abritent « Dar Slah » ? 

Sadri : Il y a quelques temps j’ai reçu un jeune client de 78 ans qui s’est exclamé « ces murs abritaient mes jeux d’enfants ! Je passais mes journées à courir et jouer dans ce qui était avant le magasin de mon père ». Il faut donc imaginer qu’il y a 70 ans ce bâtiment abritait un stockage de bois. Il s’agissait de « Makhzen Douja » qui initialement faisait partie de la maison à laquelle nous sommes accolés. Avec la mort du patriarche, la maison a été divisée et nous avons 

Mdinti : Comment se présente votre journée type ?  

Sadri : Je descends au marché central à 6h du matin. Je choisi moi-même les produits du menu du jour selon les étals. C’est sacré pour moi mon passage par le marché. Puis je ramène ce qu’il faut au restaurant où on se met à la mise en place puis je me prépare à ouvrir les portes pour vous recevoir ! 

Mdinti : C’est une particularité que vous fassiez vous-même votre marché ? 

Sadri : J’ai appris cela avec mon père qui le faisait lui-même. Je considère que quand c’est le patron qui achète, il ne peut que choisir les meilleurs produits. Ici c’est une table familiale et notre but est de voir la satisfaction et la joie sur les visages de nos invités. 

Mdinti : Vous vous fournissez donc du marché central…

Sadri : Presque en totalité, oui. L’offre y est très large et de très bonne qualité. Après poru certaines produits j’ai des fournisseurs de confiance avec qui je traite pour certains depuis des décennies. Par exemple, quand c’est la saison, le poulpe arrive directement de Kerkennah jusqu’à dans nos assiettes. 

Mdinti : Quels retours vous avez de vos clients ? 

Sadri : La cuisine tunisienne c’est très difficile. Nous sommes très émotionnels avec nos plats, nous les tunisiens.  Pour chacun de nous le meilleur couscous est celui de notre mère. Ce n’est donc pas très évident de le convaincre. Mais nous sommes très heureux quand on y réussit et on promet de ne rien dire à leurs mamans ! 

Mdinti : Quels sont vos projets futurs ? 

Sadri : Que vous dire ? J’en avais tant et ma tête grouille encore d’idées à mettre en œuvre. 

J’avais par exemple pour projet d’ouvrir une chambre d’hôte à l’étage. L’idée m’est venue à la suite des remarques répétées de nos clients qui, après un bon repas, souhaitait faire une petite sieste digestive. Donc, je me suis dit, pourquoi ne pas proposer, à l’étage, un espace calme, convivial pour un 20 minutes de relaxation avec un massage individuel du cuir chevelu. Mais ça c’était avant la pandémie… La crise sanitaire a pris tout le monde de court. Le métier de la restauration a pris un grand coup mais particulièrement nous dans la Médina. De par notre emplacement, nous nous sommes retrouvés avec un handicap supplémentaire. Il nous est impossible de proposer un service de livraison où la personne appelle et on la livre dans la demi-heure. Techniquement c’est impossible quand respecte ces délais. 

Mdinti : Mais vous vous êtes quand même adaptés avec la Box de Dar Slah ? 

Sadri : Oui, évidement ! On propose une box avec un repas complet : salade en entrée, plat et dessert. Il suffit de la commander la veille et nous vous livrons chez vous ou au bureau avant l’heure du déjeuner. Mais nous sommes également en train de développer notre offre traiteur qui nous l’espérons sera très vite disponible dans les meilleurs points de vente de Tunis. 

Mdinti : Quels sont vos espoirs pour la Médina ? 

Sadri : Comme tous les acteurs de la Médina, on souhaite la dynamiser. Avec nos partenaires au sein de Mdinti, nous comptons nous organiser pour, par exemple, insister les commerçants et artisans à ouvrir le week-end et particulièrement le dimanche pour créer du mouvement et inviter les visiteurs à envisager la Médina en week-end. Cela commence déjà par les évènements que nous organisons actuellement.