Rencontre avec Leila Ben Gacem, actrice active du renouveau de la Médina de Tunis et entrepreneur social

Interviews

Rencontre avec Leila Ben Gacem, actrice active du renouveau de la Médina de Tunis et entrepreneur social

La Médina de Tunis regorge de magnifiques demeures portant chacune son histoire ancrée dans celle de la ville. Depuis quelques années, celles-ci retrouvent un nouveau souffle et se transforment en maisons d’hôtes et de charme. Parmi les plus connues, se trouve « Dar Ben Gacem », membre de Mdinti.

Leila Ben Gacem, sa fondatrice et gérante, nous a accueilli dans sa belle maison de la rue Kahia pour nous raconter la naissance, la vie actuelle et l’avenir espéré de son projet.

Mdinti : Bonjour Leila, merci de nous accueillir dans votre magnifique demeure. Racontez-nous les prémices de votre projet.

Leila : Marhaba ! Bienvenue !

Ah… Dans une autre vie, j’étais ingénieure. Après 10 ans de carrière dans ce métier, j’ai ressenti le besoin de lancer mon propre projet dans un domaine qui m’a toujours tenu à cœur : la culture et le patrimoine. J’ai toujours été convaincue que nous, en Tunisie, étions chanceux d’avoir une si grande Histoire, avec un grand H ! De celle-ci, nous pouvons faire une force et créer de multiples opportunités : entrepreneuriales, sociales, économiques…

J’ai commencé par lancer mon propre projet « Blue Fish » axé sur l’artisanat et nos savoir-faire ancestraux et, petit à petit, je sentais que je devais explorer le domaine du tourisme alternatif.

Mdinti : Et pourquoi avoir choisi la Médina de Tunis ? Vous aviez une histoire particulière avec le lieu ?

Leila : Oh si vous saviez ! Je vais vous avouer quelque chose. Comme beaucoup de tunisiens, avant, je pensais que la Médina commençait à Bab Bhar (Porte de France) et se terminait à la Mosquée Zitouna. Et je me posais la question : mais où est le reste de la Médina ? Et puis, la vie a fait que j’ai fait des rencontres, des découvertes et de mon expérience avec les artisans, j’ai développé un profond amour pour la Médina de Tunis et ses multiples facettes.

C’est de là qu’est né mon projet et que s’est développé mon obsession de faire découvrir au monde entier ce que la Médina de Tunis a à offrir.

Mdinti : Vous avez commencé avec une maison, Dar Ben Gacem à la rue du Pacha…

Leila : Oui, effectivement. En 2006, nous avons acheté la Maison de la rue du Pacha. Je ne vais pas vous mentir, elle n’était pas dans un bel état mais son histoire nous faisait déjà vibrer. D’ailleurs, nous avons même réalisé un magnifique travail de recherche clôturé par un livre que nous avons édité avec notre ami historien Houssem Eddine Chachia sur l’histoire de cette maison. Les travaux de rénovations ont duré plus de 6 ans et « Dar Ben Gacem, Pacha » a ouvert ses portes en 2013. En septembre de cette même année, nous y avons reçu nos premiers clients que je n’oublierai jamais ! Une très gentille dame suédoise et sa fille. Après eux, deux brésiliens qui sont depuis devenus des amis avec qui je garde toujours le contact sur les réseaux sociaux. Et depuis, de nombreux visiteurs se sont succédés.. plus de 62 nationalités et tout autant, si ce n’est plus, de belles rencontres.

C’est cet engouement et enthousiasme partagé pour la Médina qui nous a mené à réinvestir tous les bénéfices générée pour acquérir une seconde maison et la rénover sur une durée de 4 ans. Cet investissement de toute l’équipe et des années de travail et d’échanges qui nous ont permis d’ouvrir en 2019 notre deuxième maison à la rue El Kahia.

Mdinti : Vous dites « nous », vous êtes plusieurs ?

Leila : Un projet aussi beau ne peut reposer sur une seule personne ! Évidemment, à la base c’est mon petit projet, mon rêve ambitieux…. Mais je n’aurais pu le concrétiser sans l’aide et l’appui de ma famille de sang, d’abord, pour monter le projet, puis après avec ma famille de cœur, l’équipe de Dar Ben Gacem. Nous étions 6, mais avec la nouvelle maison, l’équipe s’est agrandie et nous sommes désormais 13 à travailler sur ce très beau projet. Mais en réalité, nous sommes bien plus nombreux à graviter autour car un projet ne peut perdurer sans prendre mais aussi surtout donner et contribuer au développement de son environnement direct. Nous œuvrons pour construire et mettre en place un système qui génère de la plus-value économique, culturelle mais aussi sociale.

Mdinti : C’est donc également un projet d’entreprenariat social ?

Leila : Exactement ! C’est un peu mon obsession. Je crois en un entreprenariat qui mette l’humain et l’environnement au même niveau que le gain financier. C’est pour ça, que nous avons, depuis le début, décidé de recruter exclusivement dans le quartier, de nous ne fournir qu’auprès de commerçants et producteurs locaux. Nous avons également fait le choix de nous inscrire dans une économique partagée. Nous collaborons ainsi avec nombre de porteurs de projets du voisinage à travers, par exemple, des activités que nous proposons à nos clients. Ainsi, nous organisons des ateliers avec des artisans de la Médina pour offrir ensemble une offre packagée. C’est en allant dans cette voie que le projet Mdinti a commencé à se construire.

Mdinti : Dites-en nous plus…

Leila : A la Médina, comme partout ailleurs, l’union fait la force. Ainsi, avec le temps avec nos voisins commerçants et entrepreneurs, nous avons ressenti le besoin de nous organiser pour mener à bien les rêves que nous avons pour notre Médina.  Avec Mdinti, nous souhaitons construire un lobby économique qui puisse défendre les intérêts de la Médina. Mettre en place des idées et solutions pour la dynamiser même si actuellement cela se complexifie…   

Mdinti : Avec cette pandémie mondiale et ses répercussions, comment vous en sortez-vous ?

Leila : Je ne vous cache rien. Cela est très dur. Nous bataillons chaque jour. La pandémie est là. Elle nous a frappé de plein fouet mais ce qui est beaucoup plus dur c’est ses répercussions économiques. Avec la fermeture des frontières puis les mesures restrictives, le tourisme s’en est trouvé fortement impacté et la Médina vit essentiellement de cela… Nous avons jusque-là réussi à garder le cap en 2020, mais cette année ne semble pas apporter de meilleures espérances… Cela nous inquiète beaucoup mais on ne baisse pas les bras et avec Mdinti, nous sommes en train d’œuvrer pour ressouffler la vie dans les artères de la Médina.

Mdinti : Comment vous voyez l’avenir de Dar Ben Gacem ?

Leila : Aujourd’hui, ce qui est à l’ordre du jour c’est de réussir à dépasser ce moment difficile sans avoir à fermer une maison ou à réduire l’équipe. D’ailleurs, nous y avons réussi jusque-là grâce à un effort collectif de tous car nous croyons en ce projet que nous souhaitons mener loin. Personnellement, je reste optimiste. J’ai de grands espoirs dans les idées que nous sommes en train de mettre en place avec Mdinti pour lancer une dynamique nouvelle dans la Médina de Tunis. N’oubliez pas que ses 100 hectares actuels témoignent de plus de 13 siècles d’histoire. Nous avons donc de la matière pour construire et créer ! A suivre…