Sondos Belhassen et sa chambre bleue

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Sondos Belhassen et sa chambre bleue

Parmi les toutes premières maison d’hôtes de la Médina de Tunis, se trouve la Chambre Bleue. Il est possible d’y découvrir le quotidien d’une famille de la Médina en logeant directement chez l’habitant.

Sondos Belhassen, actrice, danseuse et chorégraphe de renommée, nous ouvre les portes de sa maison pour nous parler de cette magnifique bâtisse et de l’histoire de son petit projet.

Mdinti : Quel magnifique palais qu’est votre demeure ! Quelle est son histoire ?  

Sondos : On estime que les fondations du Makhzen (le rez-de-chaussée) datent du 13e ou 14e siècle, alors que le bâti lui date du 16e siècle. On reconnait d’ailleurs l’architecture typique de cette époque, l’époque hafside avec ses colonnes et ses espaces. L’étage, lui, date du 19e siècle, il appartient à un style architectural qu’on appelle le style italianisant de Tunis.

Au départ il y avait une autre maison attenante à celle-ci, une maison mère si on veut. Elle avait une façade donnant sur la rue du Diwan et une autre sur la rue de Lagha, une partie assez aristocratique de la Médina, mais malheureusement elle s’est effondrée depuis. On trouve trace de cette maison dans l’ouvrage scientifique de Jacques Revault, « Palais, demeures et maisons de plaisance de Tunis et ses environs » où il évoque déjà son effondrement.

Mdinti : D’où vient le nom de votre maison d’hôtes ?

Sondos : Le nom de la Chambre Bleue n’a pas été choisi au moment où nous avons décidé d’ouvrir des chambres d’hôtes. Il faut savoir qu’en Tunisie et dans les maisons traditionnelles on avait l’habitude de nommer les chambres de la maison. Quand on s’est installé, on avait donc pris l’habitude d’appeler une des chambres par ce nom “la chambre bleue” en arabe. Nous avons juste par la suite traduit ce nom que nous avions choisi comme nom de notre projet.

Mdinti : Pourquoi avoir lancé ce projet ?

Sondos : La chambre bleue n’est pas un projet qui a été pensé comme un projet commercial. Le père de mes filles a acquis cette maison avec sa famille, la famille Ben Miled, en 1996. Je me suis installée ici en 1999 et les travaux ont continué. La toiture, la structure, tout y est passé. Ensuite il a fallu s’attaquer à la modernisation de la maison, installer des salles de bain dans les chambres, refaire les cuisines, le chauffage, l’électricité, … Puis les travaux de restauration commencèrent, les peintures au plafond, les gravures, la céramique, … A l’époque la famille ne pouvait exploiter que l’étage car le rez de chaussée était loué comme dépôt. Il a fallu attendre 10 ans avant de pouvoir récupérer les pièces du rez-de-chaussée. La restauration de cet espace commença en 2010. La maison était vivable dès son achat, les travaux se sont fait au fur et à mesure alors qu’on y habitait et ça, ça a demandé beaucoup d’argent. L’idée de la maison d’hôte semblait la bonne solution pour nous permettre de réaliser les travaux autrement impossible avec nos salaires.

Mdinti : C’est important de le noter : vous vivez ici, avec votre famille !

Sondos : Oui ! D’ailleurs, je l’appelle chambre d’hôte et non une maison d’hôte, car pour moi ça reste ma maison, la maison familiale, dont une partie seulement est destinée aux hôtes. Ce n’est pas une maison complètement dédiée à l’accueil des hôtes avec un service hôtelier. Les espaces sont bien séparés entre nos quartiers privés et l’espace d’accueil.

Mdinti : Comment s’organisent les espaces ouverts aux voyageurs ?

Sondos : Au début, en 2008, nous avions commencé avec la chambre bleue qu’on a pens comme une suite. Elle dispose de son espace salon, de sa salle de bain, de son lit en alcôve, de son très beau plafond pain. Les espaces communs comprennent un espace d’accueil et de détente dans un patio couvert et la salle à manger.

Mdinti : Mais désormais, les visiteurs ont le choix entre plusieurs options de logement…

Sondos : Oui ! En 2013, nous avons ajouté une deuxième chambre au niveau du rez-de-chaussée après la fin d’une partie des travaux dans cet espace “El Makhzen” (littéralement magasin). Puis en 2018, nous avons ouvert “El Makhzen Loft” qui est un espace plus grand que son prédécesseur qui prend la forme d’un appartement séparé avec sa kitchenette et toutes les commodités nécessaires à ceux qui s’y installent pour des séjours de moyenne ou longue durée.

Mdinti : Quels types de visiteurs/voyageurs vous recevez ?

Sondos : A nos débuts, nos hôtes appartenaient à notre cercle d’amis élargi. Marouen Ben Miled, le père de mes filles, est universitaire, on recevait donc parfois des professeurs en résidence, des artistes que je connaissais de par mon travail. Nous avions commencé très petit avec nos amis et les amis de nos amis. Puis, un an après, nous avons lancé notre site et ça a pris tout de suite. La même année, nous étions référencé sur le site TripAdvisor et les retours des clients étaient très positifs. La chambre bleue a très vite raflé la première position de leur classement, rang qu’on garde jusqu’à aujourd’hui. Il faut dire que nous étions la première chambre d’hôte à la Médina et l’une des premières en Tunisie.

Mdinti : Qu’est-ce qui fait la spécifité de la « Chambre Bleue » dans la Médina de Tunis ?

Sondos : Il y a une certaine idée reçue sur la Médina qui est très loin de la réalité. Les gens viennent ici, essentiellement les tunisiens, et pensent que toutes les maisons sont pareilles, que tout est uniforme. La vérité est toute autre. Chaque maison, chaque espace, est unique. Depuis 2005, mais surtout depuis 2010, les maisons d’hôte, chambres d’hôte et les hôtels de charme poussent. Certains sont très modernes dans leur aménagement contemporain même, d’autres ont gardé un charme d’antan. Mais, ce qui pousse telle ou telle restauration vers telle ou telle esthétique, c’est en fin de compte les spécificités mêmes de l’espace et de la maison. Les maisons du 16e siècle n’ont pas les mêmes caractéristiques que celles construites avant. Par exemple, à l’étage de la chambre bleue on retrouve les plafonds peints, les céramiques, les gravures aux murs, mais le rez-de-chaussée est tout autre avec ses colonnes, sa hauteur sous plafond, ses voûtes, … et ces spécificités. Il fallait les respecter. Elles ont structuré les rénovations et le choix de l’ambiance propre à chaque espace. Ainsi, le rez-de-chaussée est bien plus moderne que l’étage. La Médina souffre également du manque de lieux de loisir et c’est ce qui l’empêche de devenir une destination envisageable pour les tunisiens. C’est vrai que ça a beaucoup changé aujourd’hui, mais beaucoup reste à faire…