Sofien Ben Gamra, Broderie

Interviews

Sofien Ben Gamra, Broderie

De Steward à bord des plus grandes lignes aériennes du Moyen Orient, Sofien Ben Gamra développe son réseau et en profite pour faire connaître la culture tunisienne et surtout son habit traditionnel, jusqu’à en devenir l’ambassadeur.

Il nous ouvre les portes de son magasin atelier à la Médina de Tunis pour nous faire découvrir le monde de l’habillement de luxe tunisien.

Mdinti : Vous avez une histoire passionnante et particulière ! Comment s’est construit cette passion pour l’habit tunisien  ?

Sofien : C’était un rêve, très loin de la réalité. J’étais Steward dans une compagnie aérienne du Golfe arabe. J’avais 20 ans. J’avais toujours avec moi lors de mes voyages, mon Burnous et ma Jebba avec la Balgha et les chaussures qui vont avec, ma chechia et bien sur les accessoires nécessaires à cette tenue, le Saroual, la chemise, etc.

Lors d’un bal masqué dans une ambassade européenne alors que j’étais basé en Arabie Saoudite, j’ai décidé de porter la tenue traditionnelle tunisienne. A la fin du bal, ma tenue fut choisie comme plus belle tenue de la soirée. Le fait que mes habits étaient typiques, originaux et surtout hand made (faits mains), ça a saisi les gens présents. J’ai depuis décidé de ne porter que les habits traditionnels tunisiens lors des soirées officielles et ai passé 10 ans à faire tout ce qui était possible pour faire connaître notre culture à travers le monde.

Mdinti : Vous avez même été reconnu pour cela, non ?

Sofien : En effet, de par mon réseau. Plusieurs journalistes de renom et personnalités influentes m’invitaient pour parler de l’habit traditionnel tunisien et mettre la lumière sur notre héritage culturel que je défendais sans contrepartie. C’était un honneur pour moi de représenter mon pays dans le monde. Suite à cela, on m’a attribué le titre d’ambassadeur de l’habit traditionnel tunisien dont je suis très fier.

Mdinti : Comment s’est fait le passage de la passion au métier ?

Sofien : En tant que Steward, j’ai travaillé pour de nombreuses grandes compagnies dont notre compagnie nationale. J’étais donc à nouveau basé à Tunis. J’en ai profité pour consolider mes connaissances en habits traditionnels. L’Office National De l’artisanat Tunisien a été pour moi le cadre qui m’a permis de m’informer et de comprendre ses spécificités. Je me rendais à la bibliothèque de l’Office et je lisais tout ce qui était en rapport avec l’habit tunisien. A cette époque je me rendais très souvent à la Médina pour mes recherches. Au départ, ma passion n’était rien d’autre qu’une passion. De par mon travail, je voyageais beaucoup et je consacrais mon temps libre à Tunis à ma passion.

Puis vint la révolution, en 2011. Ce moment clé, m’a poussé à faire de ma passion mon métier. J’ai rejoint la formation professionnelle du centre . Ce fût là aussi toute une aventure, un point central de ma vie.

Mdinti : Vous avez repris les bancs de l’école

Sofien : Oui mais surtout ses ateliers ! J’avais 32 ans. J’avais déjà un emploi. J’étais titulaire avec 10 ans d’expérience et je me lançais dans une nouvelle aventure, reprendre des études pour faire de ma passion mon métier. Les connaissances étaient en moi, je savais tout des habits, mais je ne savais même pas enfiler une aiguille. La formation m’a permis de pratiquer les techniques de broderie que je connaissais, de les apprendre, de me les approprier. Pendant ma formation, j’ai continué à travailler comme Steward et les responsables du centre ont été très compréhensif en me permettant d’aménager mes heures on fonction de mon planning. J’ai réussi haut la main et j’ai également été honoré par le Centre de Formation Professionnel qui avait reconnu ma soif d’apprendre et mon amour du métier. Ils m’appelaient le steward artisan.

Mdinti : Pourquoi avoir choisi la Médina pour y installer votre atelier ?

Sofien : Sinon où ? Mais c’est évident ! A Tunis, la Médina est l’épicentre de savoir-faire et de l’artisanat. Comme je l’ai dit précédemment, lorsque je faisais mes recherches sur l’habit traditionnel, avant de me lancer dans l’aventure, c’est ici que je venais pour comprendre, toucher, écouter les maîtres artisans m’abreuver de leur savoir. Mon amour pour la Médina a donc grandit jusqu’à ce que choisisse d’y installer mon atelier, à la rue du Pacha. Ici, on partage. A la Médina nous travaillons en coopérative. Ça a toujours été le cas depuis la nuit des temps. Nos aïeux, ceux qui ont bâti Tunis travaillaient main dans la main, ne dit-on pas “le poids soulevé ensemble devient léger comme une plume”. Les habits traditionnels comme la Jebba passe par 6 artisans, s’en est le parfait exemple. Malheureusement dans la Médina d’aujourd’hui l’appât du gain tue l’artisanat. J’espère un jour voir interdire les produits d’imitation de l’artisanat tunisien dans la Médina.  Il est impensable qu’avec des savoir-faire aussi rares et raffinés, l’on permette entre ces murs que des babioles de contrées lointaines viennent envahir les étals.

Mdinti : Votre atelier est une vraie caverne aux trésors ! Il y a tellement de pièces sublimes…

Sofien : Ah ! C’est ma petite fierté. Avant d’être designer, je suis un féru et un collectionneur de l’habit traditionnel. Je crée de tout dans mon petit atelier. Du Bournous, à la Jebba en passant par la Fouta & Blousa et même les chaussures et accessoires en tout genre. On m’appelle de partout en Tunisie pour me proposer des pièces uniques anciennes que j’achètes. Certaines se voient exposer telles qu’elle ici-même, comme ce « Garbouch » (sabot en bois traditionnelle que portaient les femmes pour aller au hammam) et d’autres que je confectionne dans mes créations originales.

Mdinti : Qu’espérez-vous pour le futur ?

Sofien : On ne peut pas vivre sans espoir. Notre espoir est dans l’après Covid. Je pense que beaucoup de chose vont changer, je sens l’avènement d’un retour aux sources. Je pense que la reprise sera forte car les gens ont arrêté de vivre pendant trop longtemps. Plus de mariages, plus de réunions familiales ou entre amis. Je pense que ce genre d’occasions vont reprendre de plus belle et ce genre d’événements ne sont-ils pas une forme de retour aux sources, un retour à l’essence même de notre Médina. J’espère voir les gens venir faire un tour chez le parfumeur, se poser dans un restaurant traditionnel tunisien, passer sa nuit dans une maison d’hôte authentique, acheter ses accessoires de la rue de la verrerie, commander les habites traditionnels des mariés, … Je pense que nous allons voir un retour en grâce de la Médina de Tunis, de ses artisans qui ont grandement souffert de la crise sanitaire. Demain sera meilleur.